la fin de Goulka ou la mienne?
J’ai beau être sorcière, j’essaie de ne pas voir des signes partout. Je les vois comme de mignons divertissements, des raisons de sourire. Ces dernières semaines, toutefois, j’ai du mal à ignorer les correspondances étranges autour de l’événement Rituel d’anniversaire pour les 10 ans de Goulka.
Goulka est le nom du recueil de poésie que j’ai publié il y a dix ans déjà. C’est aussi le nom de la figure centrale du recueil, un esprit millénaire, à la fois louve et fleuve, rage et tempête. Le plus souvent, je la vois comme une bouche pleine de canines entourée d’une fourrure épaisse. Elle grogne, elle menace, elle mord s’il le faut, mais surtout, elle protège et défend son hôte.
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À l’époque du lancement de Goulka, mon amoureux était un joaillier. Il avait créé un modèle de bague qui ressemblait à une rangée de canines et l’avait nommé Goulka. J’avais la mienne, évidemment, et je l’ai porté chaque jour depuis. La nuit entre le 8 et le 9 mars, j’ai perdu ma précieuse bague. Puisque son créateur est maintenant décédé, le deuil de ce petit objet a pris une tout autre ampleur. J’avais l’impression de perdre un morceau de notre relation. Pour m’en remettre, je me répétais que c’était pour la fin du cycle, que ça arrivait juste à temps pour l’anniversaire de Goulka.
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Mes parents avaient prévu me rejoindre à Montréal le 19 mars, mais ils ont décidé de rester une journée de plus à Rimouski pour profiter du beau temps. Le 19 au matin, ma mère m’envoie des photos extraordinaires. Pendant leur balade dans la forêt, ils ont trouvé une tête de coyote. Goulka! Il semblerait que la magie choisit toujours le chemin le plus facile. Comme je ne sors pas de chez moi et parce que j’habite en ville, je n’aurais jamais pu tomber sur crâne de bête. Il a tout de même fait son chemin jusqu’à moi. J’ai utilisé les photos pour créer le visuel pour ma performance. Est-ce que la vie m’a échangé une bague contre un crâne?
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Le Rituel devait avoir lieu le 26 mars, mais Mélissa Labonté et Fantômes, qui préparent de leur côté une performance pour le premier anniversaire du recueil Scaphandre, étaient malades. Il faut reporter d’une semaine. Ma dent de lait s’est encore infectée et j’ai un rendez-vous la veille de l’événement pour la retirer. Quel est le rapport? Je vous laisse lire ce poème qui marque “la mort” de Goulka :
je quitte ce que je sais détruire
rampe au berceau de racines
une envie de pourrir se traîne
je noie de convulsions mes nausées
dans un lit de mousse
mes soeurs divines je prie votre pitié
vos conseils vos caresses votre pardon
qu’elle crève
j’arracherai un à un ses crocs
puis sa petite dent de lait
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Au moment où j’écris, je tente de supporter la douleur de ma dent arrachée, cette dent de bêtise qui me suit depuis mes premières années de vie.
Est-ce que la vie m’offrira quelque chose contre cette dent?
Demain, il est finalement temps de performer ce Rituel Anniversaire…
À moins qu’il s’agisse d’un Rituel Funéraire?
Est-ce la fin de Goulka ou la mienne?
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Édit : Une amie de très longue date, qui avait sa propre bague Goulka, a décidé de me l’offrir le jour de l’événement. Ça m’a grandement émue. Je n’oublierai jamais ce geste. Je la porte chaque jour. Elle me ramène à ma manière d’aimer.